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J’y crois pas, mais il faut que je t’en cause,

samedi 13 mars 2010, par gerald cusin

Elle, c’est bien connu, est l’hebdomadaire de la femme moderne. Le numéro 3287 du 27 décembre consacre, page 182, un article sur le thème « leur parler de dieu quand on est athée ». Sujet essentiel s’il en est. L’illustration représente une maman des années 50, portant un tablier, les mains jointes, assise dans un fauteuil, ses deux enfants en pyjama et robe de chambre, à genoux priant avec conviction le petit Jésus : l’image de la famille telle qu’on aimerait en voir plus souvent. Le père est absent : au boulot ? Au bistrot ? Chez sa maîtresse ?... on n’en sait rien. Bref, cette image illustre parfaitement l’indispensable et urgente mission du parent athée femme moderne : parler de dieu à ses enfants [1]

L’article s’appuie sur trois ouvrages : « les Religions expliquées à ma fille » de Roger-Pol Droit philosophe, chroniqueur au Monde des Livres, « Dieu expliqué à mes petits enfants », de Jacques Duquesne (journaliste, ancien responsable de le JEC et de l’Association Catholique de la Jeunesse Française), et « pour mieux comprendre les religions » de Patrick Banon (chercheur en science des religions ( ?), consultant de divers groupes industriels français et américains en matière de « diversité », il a très bien connu Kissinger et Gérald Ford)

Pour Roger-Pol Droit : « la question de Dieu a pour nous tous une importance philosophique et culturelle centrale : nous sommes la seule espèce vivante à nous poser cette question ! (...)Certains pensent qu’il existe une force spirituelle qui crée le bien et le mal et d’autres n’y croient pas (...) Finalement il n’existe que des croyances : en Dieu, en l’homme, en la science... Pour les enfants de 12-13 ans (...) l’histoire des religions (...) renferme des trésors d’humanité et de spiritualité » ... Pour Jacques Duquesne, « parce que les religions ont façonné notre univers et qu’il ne s’agit pas de faire de nos enfants des êtres incultes ... [il y a] les fêtes religieuses qui rythment notre calendrier : comment leur expliquer Noël si on ne leur dit pas qu’il y a des gens qui croient qu’un certain Jésus, fils de Dieu, est devenu homme il y a quelque deux mille ans, ils ont besoin de comprendre la société dans laquelle ils vivent (...) cela suppose de connaître soi-même les religions, même si on n’adhère à aucune »

Enfin, une psychanalyste est interrogée, Catherine Mathelin-Vanier : « cela peut être aussi apaisant pour l’enfant, au prise avec les angoisses de la mort (dès 6-7 ans), de lui suggérer que si soi-même on ne croit pas au paradis, il y a dans sa famille sa tante, son oncle ou sa grand-mère qui ne sont pas de cet avis et pensent que les morts sont au ciel, à côté du bon Dieu, et qu’il peut les interroger sur leur croyance. (...) « Les parents n’ont pas réponse à tout », ainsi ils sortent de leur tout puissance effrayante ».

la Reconquista des cathos

Tout cela est bel et bon et part d’un excellent sentiment... Après tout, on propose aux parents une éducation libérale qui prend en compte l’autonomie de l’enfant, sans excès, et sans bourrage de crâne... Qui y a-t-il à dire contre, à part passer pour un indécrottable sectaire ?

Peut-être, mais le portrait robot du parent athée tel qu’il se dessine en contrepoint de ce tableau idyllique, est assez terrifiant : Est-il un être réellement humain puisqu’il ne fait pas de la question de Dieu « une importance philosophique et culturelle centrale » ? En plus, c’est un inculte s’il n’a pas au moins quelques bribes de connaissances des religions, sans lesquelles il ne saurait y avoir de réelle culture. C’est un monstre incapable de répondre aux angoisses d’un enfant de 6-7 ans, qui ne saurait être rassuré qu’en sachant qu’on ne meurt pas vraiment : heureusement que Tata et Tonton (on ne parle ni de Pif, ni de Pifou ni d’Hercule) pensent qu’on va au Paradis avec le bon Dieu. « Dis Tati Danielle, tout le monde va au paradis, alors ? », « non, il y a les méchants monstres athées et incultes comme ta mère et ton père qui eux, iront rôtir en enfer ! » Quel soulagement pour le cher bambin.

J’imagine un article dans un futur numéro de Elle : « lui parler de l’athéisme quand on est soi-même une grenouille de bénitier », ou « comment expliquer à vos enfants que la plupart des guerres et des horreurs qu’elles entraînent se font sous le couvert des religions, lorsqu’on est soi-même général et aumônier des armées [2] »

D’une manière plus large, cet article s’inscrit dans la Reconquista catholique. Ce n’est pas récent. Depuis 1930 l’Eglise catholique s’attache à reconquérir « de l’intérieur » le terrain perdu (la JEC, la JOC, les prêtres ouvriers, les associations familiales, les magazines à la mode, la CFDT, le parti socialiste mitterrandisé...). Benoît XVI lui a redonné un coup de pouce avec l’encyclique Spe Salvi parue en 2007. encyclique dans laquelle il cite l’épître aux Ephésiens : « Paul rappelle aux Éphésiens que, avant leur rencontre avec le Christ, ils étaient « sans espérance et sans Dieu dans le monde » (cf. Ep 2, 12). Naturellement, il sait qu’ils avaient eu des dieux, qu’ils avaient eu une religion, mais leurs dieux s’étaient révélés discutables et, de leurs mythes contradictoires, n’émanaient aucune espérance. Malgré les dieux, ils étaient « sans Dieu » et, par conséquent, ils se trouvaient dans un monde obscur, devant un avenir sombre. « In nihil ab nihilo quam cito recidimus » (Du rien dans le rien, combien souvent nous retombons). » La condition humaine de l’athée ? Une existence vaine, éphémère, sans espoir, et qui va du néant au néant : n’est-ce pas le fond de l’article du magazine féminin ?

Il y a toujours dans l’Eglise catholique les deux facettes de la même médaille : d’un côté le pape – orthodoxe comme il se doit – qui interdit la pilule, qui combat l’avortement, mais qui maintient le cap. Et de l’autre la cohorte des infiltrés – ou des imbéciles utiles, c’est selon – qui pavent la voie royale du retour au Moyen-Âge sous des couleurs modernistes, libérales, para ou pseudo scientifiques : cet article de Elle en est un exemple parmi beaucoup d’autres.

Notes

[1] J’entends bien le second degré : on use beaucoup du second degré dans ce magazine – par exemple il y a l’histoire « vraie » et croustillante de la soirée d’amour avec le livreur de pizza – ou la psychanalyse essentielle de Mickey... j’espère que vous n’avez pas manqué ce numéro....

[2] Certes, le lectorat est restreint, mais...


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