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« L’oiseau de Minerve s’envole au crépuscule » (Hegel)

samedi 13 mars 2010, par gerald cusin

Si la chouette – l’oiseau de Minerve – est le symbole de la sagesse (qu’on commence à acquérir à la fin de sa vie), il n’en est pas de même du grand duc. Rassurons tout de suite nos amis ornithologues, je ne parle pas du rapace Bubo bubo , mais du Grand Duc Henri de Luxembourg, duc de Nassau, prince de Bourbon-Parme, comte palatin du Rhin, de Sayn, de Königstein, de Katzenelnbogen et Diez, vicomte de Hammerstein, seigneur de Mahlberg, de Wiesbaden, d’Idstein, de Merenberg, de Limburg et Eppstein, chevalier de Namur.

C’est en tous les cas ce qu’estiment un certain nombre de Luxembourgeois. Les députés de ce petit mais valeureux pays, ont voté une loi – similaire à celle votée aux Pays-Bas et en Belgique – permettant, dans certains cas, l’assistance à la mort pour les personnes atteintes de maladie incurables et arrivées au bout de tous les traitements possibles. Las, le sang bleu du Grand Duc Henri ne l’entendait pas de cette oreille. Le Vicomte possède, de par la Constitution, le droit de s’opposer à une loi avant de la promulguer. Il a expliqué qu’il ne pourrait – étant un fervent catholique – accepter une telle loi. Craint-il de perdre les insignes de Bailli Grand-Croix d’honneur et de dévotion de l’Ordre de Malte qu’il a reçu au Vatican en février 20081 ?

Pour lui éviter de devoir abdiquer ou de perdre sa dévotion, le gouvernement vient de proposer une loi – déjà adoptée dans une première lecture [1] – modifiant la Constitution et enlevant au dit Grand Duc, tout pouvoir constitutionnel ou législatif, le cantonnant à un simple rôle protocolaire. Sa conscience est plus élastique lorsqu’il s’agit des bijoux de familles : en 2006, il a dû annuler la vente aux enchères des bijoux de feu sa maman du fait de l’émoi suscité, et promettre de clarifier un peu ses finances. C’est le moins qu’il puisse faire dans ce pays largement accusé d’être un paradis fiscal béni pour le blanchiment de l’argent sale. Bref, ces tribulations – comme diraient les Inconnus – ne nous regardent pas, et c’est aux Luxembourgeois de régler leurs affaires.

le devoir d’ingérence

Justement, une campagne de soutien au Grand Duc et contre la réduction de ses pouvoirs constitutionnels a été lancée avec à sa tête Madame Elisabeth Montfort. Ne cherchez pas dans le who’s who luxembourgeois le nom de cette dame... elle a été députée européen et elle est actuellement ... conseillère régionale d’Auvergne. Le Luxembourg va-t-il retourner à la France (ou à l’Auvergne) comme pendant les années 1795-1815, et s’appeler à nouveau le « département des forêts ? » En tous les cas, respectueuse du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes – tout comme elle est respectueuse du droit des personnes à mourir dans la dignité – cette brave catholique pratiquante, s’est associée, sur son site « liberté politique.com » (sic) avec les députés français, Jean-Marc Nesme (député de Saône-et-Loire, maire de Paray-le-Monial), Marc Le Fur (député des Côtes- d’Armor, vice-président de l’Assemblée nationale), Dominique Souchet (député de Vendée), Véronique Besse (députée de Vendée) et Bernard Depierre (député de la Côte d’Or) pour soutenir... le grand duc luxembourgeois. Comme on peut le constater l’intérêt de ces députés n’est pas géographique. Il doit se sentir bien seul le dévot de Malte dans son propre pays, s’il a besoin du soutien de la fine fleur catholique avant-gardiste des députés français.

Une grande libérale

Quant à Elisabeth Montfort, elle est de tous les grands combats démocratiques. Jugez plutôt. En 2006, elle initie une campagne de protestation contre ... le groupe des Editions Bayard, pas très réputé pour son anarcho-athéisme militant pourtant. Et bien détrompez-vous. Sous le titre « Défense du catholicisme », elle dénonçait « les dérapages d’Astrapi et Tralalire, revues pour la jeunesse du groupe Bayard », comme étant autant de brûlots inspirés – si ce n’est pas le diable – par « le relent amer de combats féministes dépassés », ce qui revient au même. Le magazine Tralalire – revue pour les 2-5 ans – publiait en décembre 2005, un imagier dans lequel on indiquait qu’il y a « mille et une façons d’être une famille », y compris « des familles où les enfants sont élevés par deux femmes et par deux hommes » !, quelle scandale ! les petitcatos n’auraient jamais dû le savoir ! Quant au magazine Astrapi – pour les grands de 7 à 11 ans – il évoquait, dans un article sur l’évolution de la condition féminine durant le XXème siècle « l’autorité tyranique [des] maris », et le fait que la femme du début du siècle « ne disposait pas de tous [les] moyens contraceptifs qui permettent aux couples de choisir le moment où ils vont avoir un enfant » de grosses saloperies, quoi ! ...

Madame Montfort reprochait à la maison d’édition de sa famille de pensée, dont elle rappelle – à juste titre – qu’elle appartient à la congrégation des Assomptionnistes, de présenter la famille « comme une réalité oppressive », la « maternité » comme une « contrainte », et que « seul un vrai travail hors de la maison » [permettrait] « à la femme d’être heureuse ». Plus grave, ne voit-on pas Astrapi, indiquer dans un mini roman, qu’il n’y a pas de «  différence entre une fille et un garçon » ? Horreur et abomination ! J’arrête là pour ne pas donner des cauchemars au lecteur. Et pour faire bonne mesure, elle ajoute : « La famille, cellule fondatrice de notre société, est mise à mal par une homopropagande ». Rien que ça.

En tous les cas, voilà de bonnes raisons à donner à votre belle-mère qui veut absolument refiler à vos enfants, des abonnements d’Astrapi qu’on lui a proposé à la sortie de la messe : « Ah non ! Pas de ça chez moi, belle-maman !, si mes gosses deviennent gays, ce sera de votre faute. Je préfère continuer à les abonner à Pif gadget et à Roudoudou et Riquiqui [2]  : s’ils finissent communistes, ce sera quand même moins grave. N’y a-t-il pas une loi concernant les publications destinées à la jeunesse ? Que fait la police des mœurs ? »

Madame Montfort a donc raison d’exporter son savoir faire. On ne peut que l’encourager à continuer à vouloir sauver le Grand Duc. C’est une espèce en voie de disparition, comme tous les grands rapaces.

Notes

[1] et définitivement adoptée depuis

[2] Oui, je sais, je vous parle d’un temps que les moins de 50 ans ne peuvent pas connaître ..


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